« La quantification carbone doit être relativisée ! »
A 33 ans de l’échéance 2050, alors que nous sommes invités à réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, les outils pour définir les plans d’action restent artisanaux. Les ingénieurs, comptables, ou politiques, qui conçoivent le monde de demain, utilisent encore trop peu l’open data et l’intelligence artificielle. Pourtant, l’exercice est trop global et trop complexe pour être réalisé seulement par des cerveaux humains. Un changement de logiciel est nécessaire pour démystifier l’analyse de cycle de vie, multiplier les quantifications et ainsi avoir une meilleure connaissance du réel, en relativisant les « vérités » qu’on nous assène.
La quantification carbone consiste à quantifier un impact qui ne se mesure pas. Cela est aussi vrai pour tous les impacts, environnementaux ou sociaux. Les impacts d’une action ou d’un objet ne peut en effet s’obtenir que par un calcul : il n’existe aucun instrument capable de mesurer notre responsabilité climatique.
Dans ce cadre, comment peut-on juger la justesse d’une allégation environnementale ? La posture la plus courante est de se fier à la confiance accordée à la source : une information « ADEME » est supposée plus fiable qu’une information « Tartempion » ; une publication d’une prestigieuse école a plus de poids que l’étude réalisée par l’IUT du coin. Pourtant, même les meilleurs peuvent se tromper, être influencés par des lobbys, analyser un cas non représentatif, ou avoir un parti pris méthodologique qui ne traduit pas une vérité universelle. Cette posture de « confiance en la source » est donc risquée.
Un des premiers freins à la relativisation est la confusion entre la justesse d’une information et sa précision. On accorde généralement plus de crédit à la précision (le niveau de détail associé à une information) qu’à la justesse (la conformité de l’information avec le réel). Une information relativisée, décontextualisée, est peu précise : la plage des résultats possibles est parfois très large. Pourtant, cette information sera plus juste, car elle traduit mieux le réel. C’est sur la base de cette information imprécise que nous pourrons nous baser pour recontextualiser l’exercice, et améliorer progressivement la précision.
Nous vivons tous dans l’illusion de la précision : rare sont les études, les méthodes ou les logiciels, qui intègrent correctement la notion d’incertitude. Ainsi, les décideurs sont systématiquement confrontés à des affirmations absolues du type « vous économisez 42 tonnes de CO2 » ou « le temps de retour sur investissement est de 8,4 ans ». Pourtant, chacun a conscience qu’il existe un gap entre théorie et pratique. Pourquoi ne pas modéliser ce gap dès la phase « théorie », en relativisant les résultats ?
Dans la logique « absolue » qui prédomine, la quantification carbone peine à se généraliser. Comment peut-on convaincre au sujet de la justesse d’un résultat, et de la pertinence des recommandations qui en découlent, si ce résultat est susceptible de varier en fonction de la personne qui réalise le calcul ? Comment convaincre, tout simplement, de réaliser l’exercice ?
Notre réponse est la suivante : il faut réduire considérablement le coût du calcul, puis focaliser l’analyse sur les incertitudes, les risques et opportunités. Actuellement, le temps humain est essentiellement dépensé pour la collecte d’information, la modélisation de processus, l’animation de groupes de travail et la rédaction de rapports. Nous remarquons que l’analyse des incertitudes n’est pas au menu, et qu’une partie importante du travail pourrait être réalisée par des intelligences artificielles plus performantes, plus rapides et moins coûteuses.
Pour maîtriser nos impacts et agir juste, il faut les connaître de manière juste. Cela implique une relativisation systématique, et un tissage des nombreuses connaissances disponibles. Les progrès du numérique permettent désormais ce tissage. Nous sommes convaincus que la crise de confiance envers les « détenteurs de vérité » dans laquelle nous sommes entrés est l’opportunité pour développer des applications permettant d’utiliser la surabondance d’informations contradictoires pour mieux décrire le monde réel. L’essor des fake-news et du fact checking, d’une part, et d’autre part de la démocratisation de la connaissance (wikipedia, open data, MOOC) témoignent de ce besoin de vérité.
Ainsi, dans un avenir proche, nous ne travaillerons plus avec les bases de données « carbone » actuelles, limitées et plus ou moins confidentielles. Dans cet avenir proche, nous travaillerons à partir de données en masse, avec de l’intelligence artificielle, et beaucoup plus de coopération entre les différents acteurs.
Nous travaillons depuis plus d’un an sur ces sujets, avec des spécialistes de l’Analyse de Cycle de Vie, de la Conceptualisation Relativisée, et du Numérique.