Réforme du DPE : une meilleure prise en compte de l’enjeu climatique
Éclairage signé Raphaële Thévenin et Florine Ollivier-Henry, manager et consultante chez Carbone 4
Le secteur du bâtiment est entré dans une profonde dynamique de réforme. Le deuxième semestre 2021 a été dense : le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements est entré en vigueur le 1er juillet 2021, la version finale du décret lié à la réglementation RE2020 pour les logements a été publiée à la fin du même mois et son homologue pour les bâtiments tertiaires a été mis en consultation au mois de septembre. En parallèle, la loi Climat et Résilience a été publiée au Journal officiel le 24 août.
Celle-ci fixe entre autres des objectifs sur le secteur du bâtiment, avec comme directive phare l’exclusion des logements les moins performants – les passoires énergétiques – du marché locatif à partir de 2028.
Les objectifs fixés sont aujourd’hui loin d’être atteints. À l’heure actuelle, seulement 40 000 logements d’étiquettes F ou G sont rénovés chaque année[1] sur les 4,8 millions de logements concernés. Le constat est aussi valable sur le reste des logements : le nombre de rénovations de l’ordre de 150 000 logements par an n’est pas à la hauteur de l’objectif fixé par la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte de 500 000 rénovations par an et le type de rénovation est souvent insuffisant (action seule et gains énergétiques faibles)[2] .
Ces constats poussent à questionner la cohérence entre les objectifs fixés et les moyens d’actions. On peut imaginer que les nouveaux décrets permettront de renforcer le cadre législatif naissant sur la lutte contre le réchauffement climatique et d’atteindre les objectifs fixés sur le secteur.
La présente note se focalise sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), un outil clé dans le suivi de la performance des bâtiments. Elle offre un décryptage du contenu, de l’objectif, et des conséquences de cette réforme d’un point de vue climat et analyse sa cohérence avec les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone, la feuille de route climatique nationale.
Le DPE, qu’est-ce que c’est ?
Le diagnostic de performance énergétique est un document officiel permettant de mesurer la performance énergétique d’un bâtiment et de la représenter via des étiquettes « énergie ». Il est obligatoire à la vente ou à la location de biens.
Le DPE est aussi un élément clé à l’échelle européenne puisqu’il apparaît dans les critères d’éligibilité à la taxonomie verte européenne pour le secteur du bâtiment*[3] .
Les textes qui précisent la réforme du DPE[4] , prévue initialement pour début 2020, ont été publiés le 31 mars dernier au Journal Officiel et sont effectifs et opposables depuis le 1er juillet 2021. Les anciens DPE, réalisés avant la date du 1er juillet 2021, pourront être utilisés jusqu’au 1er janvier 2025 dans la limite de leur durée de validité de 10 ans. Passé cette date, tous les DPE affichés auront été réalisés via la nouvelle méthode.
Modifications du DPE et conséquences sur les classes de performance des bâtiments
Le DPE est établi pour tout type de bâtiment mais la présente réforme ne concerne que les logements. Elle a pour but de rendre le diagnostic des logements plus fiable, plus lisible et plus ambitieux d’un point de vue climat[5] .
La réforme se traduit tout d’abord par la prise en compte des émissions gaz à effet de serre (GES) dans l’établissement des seuils de classe énergétique, alors que la version antérieure n’intégrait que le paramètre d’énergie primaire. Or, avec ce seul paramètre, un logement chauffé au gaz ou au fioul pouvait avoir un meilleur classement qu’un logement moins consommateur d’énergie finale et chauffé à l’électricité.
L’énergie primaire pour produire l’électricité est en effet supérieure à l’énergie primaire issue de la combustion du fioul et du gaz mais au total, moins carbonée. L’intégration des émissions de GES vient donc modérer cet effet en valorisant les vecteurs énergétiques peu carbonés, comme l’électricité en France dans notre exemple.
Des modifications ont aussi été apportées aux valeurs des seuils énergétiques : les meilleures classes sont plus accessibles et l’amplitude des classes moyennes et basses est réduite, entrainant l’abaissement du seuil de la dernière classe.
La figure 1 représente ces nouveaux seuils :
La réforme intègre également la mise à jour de données structurantes pour le calcul des paramètres énergétique et climatique du bâtiment (en particulier, facteurs de conversion des énergies en kWh, facteurs de conversion des kWh en émissions de gaz à effet de serre traduisant l’empreinte carbone des différents vecteurs énergétiques, coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire).
Par ailleurs, une modification importante a été intégrée pour améliorer la fiabilité du DPE : les conditions d’établissement des diagnostics doivent se fonder sur les données physiques du bâtiment (comme le mode constructif, le type d’isolation, le système de chauffage, le type de menuiserie, etc). Les consommations liées à l’éclairage et au fonctionnement des auxiliaires sont aussi prises en compte. La certification de la validité du diagnostic est attribuée par un organisme certificateur accréditée par le COFRAC (Comité français d’accréditation).
La réforme n’accepte notamment plus la méthode dite « sur facture » énergétique, qui effectuait le diagnostic sur la base des modalités d’usage des ménages présents dans le logement et sans tenir compte des caractéristiques propres du bâtiment.
Cette méthode, rendait compte de consommations plus réelles, mais ne permettait pas une comparaison juste des bâtiments, un des objectifs recherchés par cette réforme DPE. Par exemple, un logement peu performant mais peu utilisé pouvait obtenir une meilleure note qu’un logement bien conçu mais avec une forte intensité d’utilisation.
L’arrêté du 8 octobre 2021 complète l’arrêté du 31 mars en apportant des modifications sur la méthode de calcul et une souplesse sur les moyens d’obtention des données par les diagnostiqueurs. En effet, l’établissement des premiers DPE sous la nouvelle réforme a montré des anomalies conséquentes entre consommations réelles et consommations calculées théoriques qu’il était nécessaire de corriger[6] . Un guide destiné aux diagnostiqueurs clarifie l’ensemble des informations à connaître lors de l’établissement d’un DPE[7] .
La réforme introduit également la notion de DPE collectif, à différencier du DPE individuel (diagnostic concernant un logement seul). Le DPE collectif est établi à partir de données fournies à l’échelle de la copropriété.
Malgré une perte en précision, il permettra à tous les copropriétaires n’ayant pas de DPE individuel de disposer d’un diagnostic valable pour leur bien en location ou en vente. Ce DPE collectif s’inscrit dans le cadre du projet de loi climat et résilience exigeant l’élaboration d’un diagnostic technique global et d’un plan pluriannuel de travaux pour toutes les copropriétés et sera rendu obligatoire à partir de 2024.
Enfin, le contenu a été repensé afin de le rendre plus intelligible et pédagogique et intègre désormais diverses recommandations sur l’usage de l’énergie, sur l’entretien des équipements et sur les travaux potentiels d’amélioration de la performance énergétique.
Quel impact peut-on attendre de cette réforme du DPE sur les émissions de gaz à effet de serre des logements ?
La modification des coefficients de conversion et des seuils des classes de performance entraîne une nouvelle répartition des logements au sein des classes. Les bâtiments les plus émetteurs de gaz à effet de serre intègrent le groupement des passoires énergétiques (classes F et G) et les bâtiments énergivores mais moins émetteurs de gaz à effet de serre en sortent.
Ainsi, d’après le ministère, 800 000 logements intègrent le statut de passoire, dont 600 000 chauffés au fioul et 200 000 au gaz. 800 000 logements en sortent, dont 600 000 chauffés à l’électricité et 200 000 à la biomasse. Au total, le nombre de passoires reste inchangé et s’élève à 4,8 millions de logements, sur un total de 37,2 millions de logements. Comme demandé par le gouvernement, les autres classes restent stables avec seulement quelques transferts au sein des classes B à D.
Il faut noter néanmoins que les anomalies de méthode relevées et corrigées par l’arrêté du 8 octobre mettent en évidence le risque d’observer à nouveau un écart entre le nombre de passoires thermiques calculé par les DPE et les 4,8 millions estimés par l’étude SDES[8] . Il faudra attendre les résultats des nouveaux DPE sur les prochains mois pour s’assurer de la cohérence entre les deux nombres. Si l’écart persiste, il faudra soit adapter de nouveau la méthode du DPE, soit accepter que le nombre de passoires est aujourd’hui sous-estimé et que les mesures de rénovation à engager devront être adaptées en conséquence[9] .
Le DPE est un outil de mesure indispensable à l’atteinte de l’objectif d’éradications des passoires énergétiques. Cet objectif, formulé une première fois par la LTECV et repris dans le projet de loi Climat et Résilience, implique la rénovation et le renouvellement des 4,8 millions de logements concernés d’ici à 2028. Pour aller plus loin encore, les récents amendements du projet de loi ont raccourci l’exclusion de la classe la moins performante (classe G) à 2025[10] .
L’éradication des passoires énergétiques représenterait un gain en émissions de gaz à effet de serre de 14 MtCO2e/an soit 17% des émissions du secteur (80,8 MtCO2e ont été générées par le secteur résidentiel/tertiaire en 2019)[11] . Avec les modifications permises par la réforme du DPE, on comprend que le DPE sera un moyen de combiner l’objectif d’éradication des passoires énergétiques avec l’objectif de réduction de l’empreinte carbone des logements formulé par la SNBC.
Cependant, pour que le DPE soit un outil de mesure à la hauteur des ambitions nationales et cohérente avec les objectifs de la SNBC, il doit définir les bons niveaux de classes de performance et intégrer les bons critères.
Dans sa lettre au ministère du 22 mars 2021[12] , le Haut Conseil pour le Climat (HCC) liste des recommandations permettant au DPE de renforcer sa cohérence avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Il s’agit notamment d’aligner les niveaux énergétiques et GES des classes A et B du DPE aux niveaux BBC (Bâtiment Basse Consommation), niveaux recommandés par la SNBC, afin d’orienter les consommations des logements au bon niveau d’ambition pour assurer une réelle décarbonation du secteur. Il s’agit également d’afficher dans le DPE l’objectif de sortie complète du fioul en 2028, explicité par la SNBC. En effet, si l’entrée des logements chauffés au fioul dans la catégorie de passoires énergétiques est un bon levier pour éradiquer ce mode de chauffage, il n’est pas suffisant puisque certains de ces logements demeurent hors de cette catégorie.
Enfin, comme le DPE repose désormais uniquement sur les caractéristiques propres au bâtiment étudié, il exclut toute analyse des usages réels qui en sont fait. Le HCC propose dans ce cadre d’améliorer la connaissance statistique du parc de logements afin de prendre en compte à la fois les caractéristiques du bâtiment et les caractéristiques d’usage, ces deux paramètres influençant de manière significative les consommations. La création de l’Observatoire National de la Rénovation Énergétique (ONRE) pourra aider en ce sens[13] . Pour atteindre l’objectif d’éradication des bâtiments les plus consommateurs, il semble en effet indispensable d’étudier et de réguler la consommation via des mesures concernant la rénovation thermique du bâtiment et l’usage qui en est fait.
Conclusion
Le DPE est désormais un moyen simple d’établir des diagnostics de performance énergie-climat des logements. L’intégration d’un critère climat fait du DPE un meilleur indicateur de l’enjeu carbone et facilitera les rénovations à impact. Toutefois, il est important de le mettre en cohérence avec les objectifs nationaux définis par la SNBC afin d’assurer une réelle décarbonation du secteur.
Or, le DPE ne permet pas de rendre compte de la réalité des consommations liées aux différences d’usage, et sa réforme ne permet pas à elle seule de mener à bien et d’accélérer le mouvement vers la rénovation massive et efficace des logements. Il est donc indispensable de se munir d’outils supplémentaires pour encourager les actes de rénovation au bon niveau d’ambition.
Image par https://etadly.com
COMMENTAIRES
« Par exemple, un logement peu performant mais peu utilisé pouvait obtenir une meilleure note qu’un logement bien conçu mais avec une forte intensité d’utilisation. »
Oui, c’était complètement débile !