Réindustrialisation : l’innovation est la seule voie pour décarboner des procédés industriels fortement émetteurs de CO2
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Philippe Portenseigne, Directeur associé de la branche Innovation au sein du groupe EPSA, pour évoquer avec lui les enjeux de la réindustrialisation de l’Union européenne et de la France.
Le Monde de l’Énergie —Plusieurs initiatives législatives, au niveau européen et national, travaillent à réindustrialiser l’Union européenne, en particulier la France. En quoi est-ce une nécessité dans l’optique du respect des engagements climatiques de la France et de l’UE ?
Philippe Portenseigne —Les engagements climatiques impliquent de décarboner massivement notre économie, ce qui passera notamment par des investissements importants en équipements matériels : panneaux photovoltaïques, éoliennes, équipements contribuant à l’efficacité énergétique ou à faire évoluer le mix énergétique (nouvelles générations de brûleurs, récupération de chaleur fatale, etc.), équipements ou installations contribuant à l’économie circulaire, nouvelles lignes de production pour accompagner l’introduction de nouveaux matériaux (pour prendre l’exemple des emballages)…
Pour des questions de souveraineté comme de vitesse d’exécution et notamment dans la mesure où la demande et l’innovation mondiale sur ces investissements vont faire l’objet d’une compétition féroce, il est nécessaire de bâtir notre propre industrie « fournisseur » de solutions de décarbonation. Cela rend d’autant plus concret la promesse qui fait du réchauffement climatique une vraie opportunité économique. Ce serait une double peine pour l’Europe que de s’imposer une trajectoire climatique contraignante sans se doter des moyens techniques concrets pour l’atteindre.
En outre, nous savons bien qu’une part importante de nos émissions est importée par le biais de la consommation des ménages. Rapatrier certaines industries en les rendant au passage plus vertueuses sur le plan environnemental pourrait là aussi nous apporter le double bénéfice emploi / climat. Prenons le cas du textile, il n’est pas envisageable de relocaliser cette industrie sans penser process de fabrication automatisé et économie circulaire (des projets sont à l’œuvre dans la chaussure de sport et dans les vêtements professionnels). En couplant ces schémas avec la réduction drastique des coûts de transport, les émissions seront réduites de manière significative.
Le Monde de l’Énergie —Le secteur industriel a été visé parmi les trois principaux vecteurs de décarbonation de la France par Elisabeth Borne (avec le transport et le chauffage). Quels leviers doivent être actionnés pour assurer une réduction des émissions du secteur tout en rouvrant des usines ? Reprendre la main sur l’outil industriel peut-il aider à l’efficacité énergétique globale ?
Philippe Portenseigne —L’innovation et la décentralisation sont probablement les leviers les plus prometteurs. L’innovation est la seule voie possible pour imaginer rapatrier des fabrications qui étaient auparavant délocalisées (les panneaux photovoltaïques en sont le meilleur exemple). Il faut donc chercher à développer de nouvelles technologies, créant des barrières à l’entrée tout en travaillant sur les notions d’industrie 4.0 pour rester compétitif en termes de coûts de production. Plusieurs start-up (en France, en Pologne) et de grands groupes énergéticiens (en Italie) ont des projets en ce sens en Europe.
L’innovation c’est également la seule voie pour décarboner des procédés industriels encore très dépendant du gaz (verre, acier, chimie, agro, etc.) ou fortement émetteurs de CO2 d’une manière générale. Ce sont des processus longs qui engagent des programmes de R&D risqués et couteux. Les collaborations avec des start-up et des laboratoires de recherche publiques sont plus que jamais d’actualité pour engager ces projets complexes. L’Europe et la France ont sur cette question compris qu’il fallait donner un coup de pouce important en termes de financement des installations pilote et démonstrateurs. Elles ont ainsi lancé de nouveaux instruments financiers pour accompagner les porteurs de ces projets très gourmands en capitaux. La tendance est à l’accélération de ce type de projets dans tous les secteurs de l’industrie dite lourde.
La décentralisation est un autre levier, notamment au niveau de la production d’énergie renouvelable. Celle-ci ne pourra se faire massivement qu’à l’échelon local. Nous voyons aujourd’hui de grands groupes industriels (automobile par exemple), disposant de réserves foncières importantes, se lançant dans des programmes d’autonomie énergétique à base de projets éoliens et photovoltaïques à un horizon très court. L’agriculture commence également à lancer des projets d’agrivoltaisme. D’une manière générale, beaucoup d’entreprises disposant d’un minimum de surfaces (bâtiments, parking ou terrain nu) ont aujourd’hui inscrit à leur agenda l’exploration d’un projet photovoltaïque. Et ce n’est pas fini : la géothermie est également en train de faire son apparition dans l’industrie. En réalité, un grand mouvement est en marche : le monde économique est en train de se doter de feuilles de route de décarbonation ambitieuse qui nécessite d’aborder tous les sujets de front.
Le Monde de l’Énergie —Quelles plus-values peuvent offrir des sites industriels français par rapport à leurs équivalents délocalisés, dont les avantages sont bien connus ?
Philippe Portenseigne —Il faut constater en premier lieu que la France a progressé en matière de compétitivité sur un certain nombre de points au cours des dernières années : on pense par exemple à l’existence de certaines dérogations sur les taxes énergétiques pour quelques secteurs éligibles à ce que l’on appelle la fuite de carbone, à la baisse récente et massive des impôts de production mais aussi aux subventions à l’investissement déployées dans le cadre de France 2030. Si on ajoute l’IP BOX et le CIR pour les entreprises innovantes, la France est aujourd’hui compétitive, notamment pour les industries de pointe.
Mais au-delà de ces aspects, on peut affirmer aujourd’hui que la performance d’un site industriel ne peut plus s’apprécier seulement en termes de coûts. La stabilité politique ou économique de son lieu d’implantation, la sécurisation et les coûts de la chaîne logistique et d’approvisionnement sont devenus des facteurs essentiels. La crise du Covid a été bien évidemment un révélateur des fragilités de plusieurs chaînes de valeur sur ces points.
La plus-value d’un site français sera donc d’autant plus pertinente qu’elle s’inscrira dans un écosystème vertical, horizontal, local, national, ou européen, qui le mettra en valeur. L’économie circulaire est en ce sens un vrai levier de compétitivité pour la France. Nous voyons émerger de plus en plus de projets collaboratifs de ce type. Les financements adaptés existent. Cela implique des modes de pensée et des réflexes nouveaux pour les dirigeants d’entreprises : s’ouvrir aux collaborations, penser filière, bref ne plus s’isoler. C’est un changement culturel profond qu’il faut accélérer.
Le Monde de l’Énergie —En quoi renforcer sa souveraineté technologique est-il une priorité pour la France ?
Philippe Portenseigne —L’innovation technologique (qu’elle soit de rupture ou accompagnée d’une innovation d’usage) n’a de cesse de s’immiscer dans tous les rouages du fonctionnement de nos sociétés : communication, sécurité, santé, mobilité… Toutes ces nouveautés façonnent nos modes de vie. Force est de constater que la France et l’Europe subissent depuis longtemps ces tendances. Qui peut raisonnablement citer un acteur technologique européen, emblématique des évolutions de nos pratiques quotidiennes sur ces 3 dernières décennies ? Les noms qui nous reviennent sont toujours américains ou chinois.
La question de la souveraineté technologique ne se situe donc pas uniquement sur un plan purement économique mais bien à un échelon supérieur : culture, valeur, identité, fonctionnement démocratique. Les règles que la Commission Européenne impose de plus en plus aux réseaux sociaux illustrent bien cette reprise en main tardive mais salutaire.
En matière d’enjeux climatiques, comment imaginer nos nouveaux comportements sans maîtriser les technologies sur lesquelles nous devrons nous appuyer ? Comment fixer nos propres normes, potentiellement plus restrictives, sans développer les technologies compatibles ? La souveraineté technologique est devenue encore plus qu’avant un enjeu de souveraineté tout court. La prise de conscience est là mais les champions de dimension mondiale ne le sont pas encore.
Le Monde de l’Énergie —Le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production (de l’extraction des matières premières à la fourniture des composants, en passant par les différentes étapes d’assemblage) doit-il être priorisé, et pourquoi ?
Philippe Portenseigne —Les chiffres parlent d’eux-mêmes : nos modes de vie occidentaux consomment à ce jour plus de ressources que la planète ne peut en produire. Les tensions sur les marchés vont donc se multiplier. Demain, les pays maîtrisant certaines chaînes critiques en feront des armes de dissuasion, d’influence.
Par ailleurs, et sans présager de l’évolution future de nos modèles capitalistes, l’industrie est un puissant instrument de prospérité et de stabilité. Il suffit de faire le bilan des dégâts en matière de chômage de masse, d’abandon de territoires, causés par les mouvements de délocalisations et de désindustrialisation qu’a connu la France pour considérer que la maîtrise d’une chaîne de production est un levier de souveraineté nécessaire à la stabilité d’une démocratie.
COMMENTAIRES
L’électrification des énergies consommées dans l’industrie est la principal vie de de sa de carbonation. D’autres solutions alternatives peuvent être préférables, au cas par cas.
Cher Serge…
Je vous cite: « L’électrification des énergies consommées dans l’industrie est la principal vie de de sa de carbonation. »
Merci de bien vouloir traduire ce charabia, pour les « non initiés »… dont je suis, hélas !
Bonjour,
Pensez-vous que les solutions et les affirmations de cet exposées soient à la hauteur des besoins ?
Avez-vous une idée de la production d’électricité photovoltaïque la nuit (et en hiver).
Il y a des « idées » de stockage avec des batteries mais il faut des mines qui polluent énormément …….
De plus tout est loin d’être électrique.
Dans ces articles de presse il n’y a que très rarement de la place pour une évaluation des ordres de grandeurs des propositions face à l’étendue des besoins.
La décroissance plaisante sera ou, sinon, sera déplaisante.
Quand arrêterons nous de considérer que la croissance est une bonne chose???
Quel serait l’intérêt d’avoir plus d’une voiture par personne ou plus d’un aspirateur par famille?
naviguer à la voile est il moins plaisant que de naviguer au moteur?
Une voiture de 2 tonnes aujourd’hui est elle plus agréable qu’une voiture d’1 tonne d’il y a 50 ans?
changer son smartphone tous les 18 mois est il utile plutôt que de le garder 10 ans?
avoir 50 paires de chaussures rend il heureux?
Faire 20000 km en avion pour aller passer une semaine de vacances à l’autre bout du monde nous apporte t il plus que faire une randonnée dans le département voisin où l’on rencontrera des personnes venues de l’autre bout du monde?
Les CSP+ de nos pays dits « développés » (dont je fais partie) pourraient être tout aussi heureux en dépensant moitié moins et en utilisant l’autre moitié pour faire progresser les économies, non pas en augmentant le PIB, mais en améliorant sa qualité et le plaisir qu’il permet.
dans cet exposé je ne perçois qu’une « ode » aux équipements matériels tels que : « panneaux photovoltaïques, éoliennes, équipements contribuant à l’efficacité énergétique » etc etc …
Actuellement La quantité d’énergie consommée en France se situe aux environs de 1617 TWh (tous types d’énergies confondus)
l’industrie en consomme 19 %
les transports en consomment 33 %
le résidentielle en consomme 28 %
le tertiaire en consomme 17 %
l’agriculture en consomme 3 %
alors que
l’électricité représente 28 %
les produits pétroliers raffinés, le gaz nat et le charbon représentent 59 %
le bois et les biocarburants représentent 11 %
la chaleur commercialisée représente 2 %
Dans cet exposé, on ne voit pas comment les besoins ci dessus seront fournis (poste par poste) par ces « nouvelles technologies ».
On y constate aussi que le nucléaire est absent ds le panel des énergies possibles. On constate aussi l’absence de la reprise du projet ASTRID pour une 4G (RNR) qui permet le bouclage du cycle et le traitement des déchets tout en ayant une autonomie en énergie pour des siècles.