reoxygenation oceans doux reve ou bientot possibilite grace production hydrogene vert en mer - InCyber

La réoxygénation des océans, un doux rêve ou bientôt une possibilité grâce à la production d’hydrogène vert en mer ?

Une tribune signée par Dr Patricia Handmann, chercheuse en physique des océans à Geomar et à l’Université de Kiel, conseillère scientifique pour Lhyfe.

 

Tout autour du globe, depuis les années 1950, les océans perdent de l’oxygène. Le nombre de sites côtiers dont les concentrations d’oxygène sont trop faibles pour soutenir la vie marine est passé de 10 en 1960 à plus de 900 en 20181. Et cette perte est directement liée à l’activité humaine : la pollution des eaux (notamment via les engrais ou les eaux usées, qui contiennent du phosphore, de l’azote et de la matière organique…) et, de plus en plus, le réchauffement climatique. Celui-ci modifie la concentration d’oxygène dans l’eau et les courants marins, il provoque la perte de la biodiversité, augmente les risques de surpêche et transforme les processus biogéochimiques et microbiens dans l’eau (en lien avec la croissance des émissions de gaz à effet de serre (N2O and CH4)2). Ces modifications des concentrations d’oxygène ont un impact destructeur sur l’océan, sa faune, sa flore ; mais cela nous concerne aussi, nous les humains, car ce phénomène impacte les millions d’emplois liés aux eaux côtières, et l’approvisionnement en protéine de plus de 3 milliards de personnes3.

Pour protéger cette biodiversité, il est possible d’installer des zones marines protégées, de diminuer et contrôler le ruissellement des nutriments et de la matière organique dans les eaux côtières… Mais souvent, ces mesures n’ont pas d’influence directe sur les taux d’oxygène ou alors une influence très tardive. Depuis les années 1980, les Etats-Unis développent la réoxygénation artificielle des réserves d’eaux douces à partir d’oxygène pur. Mais cette technique n’a encore jamais été utilisée dans l’environnement marin. Dans les années 2009-2012 deux expérimentations ont eu lieu dans des fjords en mer Baltique4 : de l’eau a été pompée près de la surface (où elle est mieux oxygénée que dans les profondeurs) et amenée vers les profondeurs. Malheureusement cette technique s’est révélée trop peu efficace et trop onéreuse pour être envisagée à grande échelle. Il n’existe donc à ce jour aucune mesure efficace pour combattre la perte d’oxygène dans les eaux côtières.

Cette situation pourrait très probablement changer dans les années à venir, grâce au développement des projets de production d’énergies renouvelables offshore – conformément aux objectifs fixés par l’Union Européenne dans le cadre du Green Deal Européen pour 2030 et 2050 – et au développement de projets de production d’hydrogène vert en mer qui y seront liés. La production d’hydrogène ouvre donc la voie à une nouvelle source d’oxygène dans l’espace marin côtier.

En effet, la production d’énergies renouvelables en mer va clairement s’accompagner d’une production d’hydrogène vert . L’espace maritime européen dispose d’un gisement de vent capable de remplacer la totalité de notre consommation de gaz et de pétrole. Et si le coût du transport de l’électricité oblige les opérateurs à positionner les éoliennes offshore près des côtes, le transport du gaz n’est pas une difficulté. La production d’hydrogène en mer permet donc d’exploiter le gisement de vent « farshore ». L’Allemagne et les Pays-Bas en ont d’ores et déjà fait un objectif.

Les sites de production d’hydrogène en mer seront donc connectés aux champs éoliens installés à plus de 50/100 km des côtes, là où les gisements de vent sont bons, et où l’on n’entre pas en concurrence avec la production d’électricité, du fait des coûts de raccordement. Le système de production par électrolyse de l’eau sera ainsi alimenté par de l’eau de mer et de l’électricité renouvelable provenant des éoliennes, comme l’expérimentation Sealhyfe (Lhyfe) a démontré qu’il était possible de le faire en 2023.

Or, pour produire 1 kg d’hydrogène par électrolyse de l’eau, on co-produit 8 kg d’oxygène. Les sites de production offshore auront une puissance minimale unitaire de 500 MW, soit une production de 200 tonnes d’hydrogène par jour, chaque site pourra donc produire au minimum 1 600 tonnes d’oxygène chaque jour. Ces sites de production d’hydrogène en mer représentent donc un potentiel gisement d’oxygène très important. Cette nouvelle source d’oxygène permet désormais d’envisager d’utiliser les techniques utilisées dès les années 1980 dans les eaux douces pour les adapter à l’espace marin. Cela ouvre de nouvelles perspectives pleines d’espoir pour les écosystèmes côtiers qui ont urgemment besoin d’aide pour lutter contre cette perte d’oxygène dévastatrice.

Cependant, la réoxygénation artificielle des espaces marins côtiers est une mesure qui, pour être appliquée avec responsabilité et durabilité, a besoin d’être préparée méticuleusement et de façon interdisciplinaire.

  • Au niveau scientifique : les effets exacts sur la totalité du système marin local et la demande d’oxygène ont besoin d’être surveillés, analysés et évalués ;
  • Au niveau technologique : les installations vont être déployées dans un espace très corrosif et hostile ;
  • Au niveau politique : les effets de la réoxygénation peuvent traverser les frontières ;
  • Au niveau socio-économique : les installations peuvent être visibles de la côte, et elles peuvent changer les conditions de reproduction et l’abondance des poissons et autres espèces pêchées de la région.

Mais au-delà de ces considérations, l’ensemble des impacts sur l’écosystème, la biodiversité, la physique et biogéochimie de l’eau ont besoin d’être observés, contrôlés et ajustés pour éviter toute conséquence non souhaitée, et s’assurer que ces procédés permettent vraiment de rendre service à la nature. C’est pourquoi il est crucial de démarrer à petite échelle, afin d’étudier la réoxygénation sous toutes ses facettes.

Du point de vue philosophique on pourrait aussi poser la question de la nécessité et l’urgence de l’implémentation et de l’exploration de la réoxygénation artificielle. « La Déclaration de principes éthiques en rapport avec les changements climatiques » de l’UNESCO5 répond à ce point : ses articles 2 et 3 (sur la « Prévention des nuisances » et le « Principe de précaution ») concernent directement les solutions capables de lutter contre le changement climatique et leurs implications. Dans ce contexte, la réoxygénation artificielle des océans doit être explorée et implémentée avec soin, responsabilité et durabilité6.

 

1Breitburg, D., Levin, L. A., Oschlies, A., Grégoire, M., Chavez, F. P., Conley, D. J., Garçon, V., Gilbert, D., Gutiérrez, D. and Isensee, K. (2018) Declining oxygen in the global ocean and coastal waters. Science, 359, eaam7240.

2Grégoire et al., 2023

3Stuchtey, M. R., Vincent, A., Merkl, A., Bucher, M., Haugan, P. M., Lubchenco, J., Pangestu, M. E. and Haugan, P. M. (2023) Ocean solutions that benefit people, nature and the economy. In The Blue Compendium: From Knowledge to Action for a Sustainable Ocean Economy, 783–906. Springer.

4Projets BOX et PROPPEN

5United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (2017) Declaration of ethical principles in relation to climate change. Tech. rep.

6 Wallace, D. R. W., Jutras, M., A., N. W. and A., D. (2024) Can green hydrogen production be used to mitigate ocean deoxygenation? a scenario from the gulf of St. Lawrence. Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change.

commentaires

COMMENTAIRES

    • L’auteur semble considérer comme acquise la possibilité d’électrolyser l’eau de mer directement, sans désalinisation, ce qui produirait de l’oxygène en même temps que l’hydrogène en mer. Pour l’instant les technologies sont balbutiantes et sont au stade de pilotes ou de laboratoire. Dessaler est trop coûteux en énergie.

      Répondre
  • La production d’hydrogène par un gros électrolyseur nécessite une consommation, en courant continu au niveau du stack, de 50 MWh par tonne H2.

    En ajoutant tous les auxiliaires, la consommation monte à 55 MWh/t H2 (hors désalinisation de l’eau de mer). En ajoutant la compression de l’hydrogène pour le transport d’une part, la compression de l’oxygène pour l’injecter en profondeur (sans compter un éventuel transport qui demanderait sa compression) on arrive facilement à 65 MWh/t H2.

    Avec une installation éolienne en mer de 500 MW, au facteur de charge de 40%, produisant en moyenne annuelle 4.800 MWh par jour, on ne produit que 74 tonnes d’H2 par jour, pas 200 t.

    Répondre
  • On ne fait pas l’électrolyse de l’eau de mer mais celle d’une eau désalinisée et purifiée à un très haut degré de pureté.

    La première étape, filtration et désalinisation de l’eau de mer, ne produit aucun dégagement de chlore, quel que soit le procédé utilisé.

    Le seul problème est l’accumulation de saumure localement, comme on le voit auprès de toutes les usines de désalinisation qui existent dans le monde.

    Répondre
  • La désalinisation de l’eau demande relativement peu d’énergie. Pourquoi toujours raconter n’importe quoi ?

    Avec la technologie d’osmose inverse, la plus utilisée, il faut de 2,5 à 4 kWh par m3 d’eau qui, après purification, produira environ 900 litres de l’eau ultra-pure nécessaire aux électrolyseurs, d’où il sortira autour de 100 kg d’hydrogène.

    Ce qui fait 0,025 à 0,040 kWh en désalinisation pour produire un kg H2.

    Mais le « stack » seul consomme 50 kWh, de 1.250 à 2.000 fois plus, en courant continu.

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