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Repenser la lutte contre la précarité énergétique

Par Sacha Bentolila, chef de cabinet en collectivité territoriale, Albert Ferrari, responsable des relations institutionnelles d’Enercoop et Rodi Téginère, membre du groupe Énergie d’EuroCité.

La vague de froid qui a touché la France et l’Europe nous rappelle plus que jamais que certains de nos concitoyens français et européens souffrent de pauvreté énergétique.

12 millions de Français et entre 50 et 125 millions d’Européens seraient touchés. « Un Européen sur dix est en situation de précarité énergétique, avec également un risque doublé d’être en mauvaise santé », alerte le baromètre de l’habitat sain, publié le 31 mai 2017 par les instituts Ecofys, Fraunhofer IBP et Copenhagen Economics.

En France, 5 % de la population indiquent ne pas se chauffer correctement en hiver. Certains ménages se trouvent donc face à un dilemme : renoncer à d’autres dépenses pour se chauffer correctement ou se déplacer ou, au contraire, se résigner à avoir froid ou à se déplacer moins.

L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe) estime pour sa part que les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l’énergie une part de budget 2,5 fois plus élevée que les 20 % les plus riches.

Cette situation préoccupante, qui concerne l’Union européenne dans son ensemble, peine toutefois à être prise en considération à sa juste mesure dans les politiques européennes.

Une Europe impuissante

L’impossibilité même d’obtenir un chiffre précis de la situation en Europe montre combien le phénomène a été jusqu’ici mal ou peu pris en compte par les décideurs européens.

Le paquet législatif pour une « Énergie propre pour tous les Européens » proposé le 30 novembre 2016 par la Commission européenne, toujours en débat actuellement, inclut cette problématique dans sa ligne de mire.

Le lancement de l’observatoire européen de la pauvreté énergétique le 29 janvier dernier à Bruxelles traduit également cette lente prise de conscience du phénomène de la pauvreté énergétique.

Cet observatoire vise à diffuser des informations et des bonnes pratiques, à faciliter l’échange de savoirs entre parties 3 prenantes et à soutenir une prise de décision informée aux niveaux local, national et européen.

Mais observer, est-ce suffisant ? A l’évidence, non. On ne peut que s’étonner du silence des institutions européennes, incapables de donner une définition unique et globale de la pauvreté énergétique au niveau européen, tant les États membres sont peu engagés sur la question.

Une telle posture risque d’être difficilement tenable dans le temps, car tant qu’une définition commune et transversale de la précarité énergétique n’émergera pas au niveau européen, il sera délicat de développer une politique européenne efficace en la matière.

L’Europe de l’énergie n’est pas qu’un vaste marché intérieur favorisant les échanges, ni un continent au premier rang du juste combat pour une nouvelle économie décarbonée ; ce doit être aussi, et en même temps, un espace de solidarité, dans lequel la situation individuelle des citoyens européens face à la hausse des dépenses énergétiques est prise en compte, et motive des politiques publiques efficaces.

Il convient donc de revenir sur la notion de précarité énergétique en s’interrogeant sur ses causes et ses conséquences. Le chevauchement des inégalités économiques et énergétiques implique la mise en place de politiques européennes qui luttent à la fois contre la pauvreté économique et la pauvreté énergétique.

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L’aspect économique : cause et remède de la précarité énergétique

La hausse du prix de l’énergie, à l’origine du développement de la précarité énergétique ces dernières années, touche en premier lieu les ménages les plus fragiles. La problématique n’est pas nouvelle puisqu’en 2006 quatre millions de Français en souffraient déjà.

Et pourtant, il a fallu attendre la loi Grenelle du 12 juillet 2010[1] pour avoir en France une définition législative de la précarité énergétique décrite comme le fait d’éprouver dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de sesconditions d’habitat.

Cette définition a été complétée par une définition chiffrée, le taux d’effort énergétique (TEE), qui qualifie la précarité énergétique comme le fait de dépenser plus de 10 % de son revenu pour des dépenses liées à l’énergie.

Les ménages les plus défavorisés sont les premiers concernés, même si aujourd’hui chaque Français peut être touché en raison notamment de la hausse du prix de l’énergie.

Une hausse constante du prix de l’énergie qui s’expliquerait en partie par les investissements nécessaires à la modernisation des infrastructures énergétiques mais également par la mise en place de politiques publiques ambitieuses en matière de lutte contre le changement climatique Face à cette situation, les pouvoirs publics ont historiquement traité la précarité énergétique en des termes économiques.

Si Électricité de France et Gaz de France prévoyaient déjà des versements d’aides à la couverture des factures impayées dans le cadre des « campagnes pauvreté-précarité », le législateur ne s’est emparé de cette question qu’en 1992 en prévoyant que toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d’une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou préserver son accès à une fourniture d’énergie.

Dans cette perspective, la loi du 10 février 2000 prévoit la création de « tarifs sociaux de l’énergie » : la « tarification spéciale produit de première nécessité » pour l’électricité, et le « tarif spécial de solidarité » pour le gaz.

Le principe est alors le même : les bénéficiaires, des 4 particuliers pour leur résidence principale, sélectionnés selon leurs revenus, bénéficient d’une déduction forfaitaire sur le prix de fourniture contractuellement établi entre le client et son fournisseur d’électricité ou de gaz. Critiqués en raison de leurs coûts de gestion et des difficultés à bien identifier les bénéficiaires, les tarifs sociaux de l’énergie ont été remplacés le 1er janvier 2018 par un nouveau dispositif : le chèque énergie.

 

Ce titre spécial de paiement permet aux ménages bénéficiaires, toujours identifiés selon des critères de revenu, de payer leur facture d’énergie (toutes formes d’énergie confondues : électricité, gaz, fioul, bois, etc.) ou de financer des dépenses améliorant la maîtrise de la consommation d’énergie du logement.

Parallèlement à ces instruments, les pouvoirs publics ont souhaité inciter financièrement les consommateurs d’énergie à effectuer des travaux de maîtrise de la demande d’énergie.

Les certificats d’économies d’énergie, créés en 2006, constituent un dispositif réglementaire obligeant les fournisseurs à réaliser des économies d’énergie en entreprenant différentes actions auprès des consommateurs qui peuvent bénéficier d’un soutien financier.

Les objectifs sont en constante augmentation au fil des périodes et un dispositif complémentaire a été créé par la loi du 17 août 2015 destiné spécifiquement aux ménages en situation de précarité énergétique.

Enfin, l’Agence nationale de l’habitat accompagne les projets de travaux visant à réduire la consommation d’énergie en octroyant des primes.

Cependant, la précarité énergétique n’appelle pas uniquement une solution économique puisqu’elle résulte également d’autres facteurs. En effet, du lieu d’habitation dépend la propension à entrer en situation de précarité énergétique.

Il est évident que les consommations d’énergies à des fins de chauffage seront plus élevées pour un logement situé dans le nord de la France qu’au sud. L’aspect géographique n’est pas le seul critère.

Les offres de fourniture d’électricité ou de gaz sont structurées en fonction de deux éléments : une part variable, exprimée en € / MWh, dépendant de la consommation d’énergie, et une part fixe, en € / MW, dépendant de la puissance souscrite.

Des connaissances de base en électricité sont nécessaires afin de dimensionner de façon optimale la puissance souscrite en fonction de ses besoins. A défaut de telles compétences, il est nécessaire que cette information soit délivrée de façon la plus objective possible par le fournisseur.

Ces considérations techniques ne sont pas les seules à favoriser l’essor de situation de précarité énergétique. Le 11e baromètre Energie-Info du Médiateur national de l’énergie publié en octobre 2017 précise qu’encore 50 % des consommateurs ne savent pas qu’il est possible de changer de fournisseur d’électricité ou de gaz.

Cette méconnaissance de l’ouverture du marché à la concurrence empêche certains ménages de bénéficier d’une facture moins élevée en basculant dans une offre de marché. Le baromètre indique également que le degré de connaissance du droit au changement de fournisseur est proportionnel aux revenus du ménage : 75 % des personnes relevant des catégories socio-professionnelles supérieures ont l’information leur permettant de faire jouer la concurrence.

Si la situation économique des ménages est bien la principale cause de la précarité énergétique, cette précarité énergétique aggrave aussi les injustices économiques et sociales des Français, poussant donc à une approche plus globale de cette problématique.

La précarité économique comme conséquence de la précarité énergétique : la spirale infernale de la précarité

Une approche purement sectorielle de la précarité énergétique, dans ses causes comme dans ses traitements, fait l’impasse sur les autres effets qu’elle peut entraîner sur la santé et sur la situation économique des ménages.

En premier lieu, cette situation sociale a un impact sur la santé des ménages, car ils habitent souvent des bâtiments mal isolés : le froid ressenti, l’humidité des chambres et un renoncement aux soins ou à une alimentation saine rendent ces personnes plus fragiles.

Ainsi, il existe encore un lien excessif en France entre mortalité hivernale, efficacité énergétique des logements et température intérieure : une santé perçue moins bonne, des maladies chroniques plus fréquentes (bronchite, arthrose, migraine…)[2] .

Cette corrélation entre santé et précarité énergétique est renforcée par la situation énergétique des logements : intoxication au monoxyde de carbone due à un appareil de chauffage défectueux ou mal entretenu, présence d’autres polluants due à une mauvaise qualité de l’air intérieure, détérioration de la qualité énergétique du bâtiment.

L’énergie est une dépense contrainte et l’arbitrage des ménages en faveur de ce besoin se fait souvent au détriment d’autres dépenses comme, par exemple, la qualité de l’alimentation. Au travers de cet exemple du lien entre santé et précarité énergétique, il apparaît qu’un traitement trop sectoriel de cette problématique ne rend pas suffisamment compte des effets que son traitement peut avoir en matière de dépenses pour la santé publique et de sécurité sociale.

Mais la précarité énergétique ne touche pas seulement la santé des ménages, elle nuit également à leur capacité à se déplacer, pourtant essentielle à l’amélioration de leur situation économique.

La mobilité reste la grande absente de la définition de la précarité énergétique issue du Grenelle de l’environnement alors même qu’elle représente environ 42 % des dépenses énergétiques des ménages et que dans la plupart des cas la précarité énergétique concerne l’habitat mais également la mobilité.[3] Ces 42 % constituent bien trop souvent la variable d’ajustement dans l’arbitrage énergétique des ménages.

Se chauffer, se doucher, cuisiner sont des actes nécessaires à la vie de tous les jours.

En revanche, les bienfaits de la mobilité, maintien du lien social, accès à l’emploi, ne sont pas perçus directement. La précarité énergétique peut obliger les ménages concernés à réduire leurs déplacements ce qui peut engendrer une diminution du lien social mais aussi une réduction de leurs chances d’accéder à l’emploi.

Plusieurs études économiques s’attèlent à montrer en quoi l’immobilité constitue un frein à l’accès à l’emploi. Près d’un Français sur quatre déclare avoir déjà renoncé à un travail ou à une formation faute de moyen pour se déplacer.[4] La précarité énergétique diminue ainsi les chances d’accéder à un emploi en réduisant la mobilité des ménages.

Les populations les plus fragiles économiquement sont donc frappées par une double peine : la précarité économique qui favorise la précarité énergétique qui elle-même détériore la situation économique des ménages en limitant leur chance de retrouver un travail.

Pour lutter contre la hausse constante de la précarité énergétique qui touche aussi bien l’habitation que la mobilité, les dispositifs palliatifs ont été les premiers outils mis en place.

Par exemple, si les tarifs sociaux soulagent la charge des factures d’énergie sur les ménages, ils ne permettent pas aux précaires de réduire leur consommation d’énergie.

Et les aides à la rénovation énergétique, plus curatives, laissent souvent un reste à charge à l’attention des ménages, ou exigent une avance des fonds que les plus démunis ne peuvent pas se permettre. Par ailleurs, la complexité des mécanismes et leur manque de notoriété restent des freins à leur 6 accessibilité [5] .

Le retour d’expérience du déploiement du chèque énergie dans quatre départements pilotes révèle aussi que ce moyen de paiement sert avant tout à s’acquitter de ses factures d’énergie – toutes sources confondues (99 % des chèques utilisés) et non pour effectuer une opération de rénovation énergétique [6] .

Le ministère de la Transition écologique et solidaire a avancé deux raisons pour expliquer cela : une communication principalement axée sur le paiement des factures, et un montant de chèque très limité au regard des coûts d’une rénovation.

Pour une approche globale de la précarité énergétique

Pour lutter efficacement contre la précarité énergétique, il est nécessaire d’appréhender le phénomène dans sa globalité et de ne pas se limiter aux seuls facteurs économiques ce qui exclurait certains enjeux cruciaux liés à la démobilité ou à la santé et à la culture.

L’ensemble des pays européens, et pas seulement la France, tend pourtant vers cette approche nationale et restreinte de la précarité énergétique.

La création au niveau européen d’un observatoire de la précarité énergétique ou d’un fonds de solidarité énergétique sont des pistes à approfondir pour lutter contre la précarité énergétique tout en réduisant les inégalités sociales [7] .

Mais de telles mesures resteront lettre morte si dans le même temps les consciences individuelles ne sont pas sensibilisées aux enjeux de la précarité et de l’énergie.

Cette sensibilisation passe notamment par la mise en place de points d’information budget aidant les populations en situation de précarité à gérer la répartition de leurs dépenses et par des visites chez les particuliers réalisées par des travailleurs sociaux et des techniciens de l’énergie.

Les citoyens doivent comprendre le fonctionnement du système énergétique qu’ils utilisent. Quels outils existent pour lutter contre la précarité énergétique ? Quelles habitudes de consommation consomment le plus d’énergie ? Comment fonctionne notre énergie ? Autant de questions qui demeurent aujourd’hui sans réponse pour une partie des citoyens européens ! [8]

 

 

 

——-

 

Notes et références :

[1] Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement

[2] Quel lien entre précarité énergétique et santé, résultats d’une étude de CREAI-ORS LR et Gefosat, 2017

[3] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, Bilan énergétique de la France en 2015, 2016

[4] Institut Elabe, Mobilité et accès à l’emploi en 2016, étude Elabe pour le laboratoire de la mobilité inclusive, décembre 2016

[5] Charles-André Bernard, Olivier Teissier, Analyse de la précarité énergétique à la lumière de l’Enquête Nationale Logement 2013, CSTB, 2016

[6] Rapport d’évaluation de l’expérimentation du chèque énergie, Ministère de la transition écologique et solidaire, 2017

[7] Michel Derdevet, La précarité énergétique, un chantier européen prioritaire, Géoéconomie, 2013, p. 37-50

[8] Steve Pye, Audrey Dobbins, Energy poverty and vulnerable consumer in the energy sector across The EU : analysis of policies measures, Insight Policy Report, Mai 2015

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