« Le secteur forestier est stratégique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 »
Le bois énergie, dans une logique circulaire prenant en compte l’ensemble des usages du bois, occupe une place prépondérante dans la lutte contre le changement climatique. On a voulu en savoir plus avec Emilie Machefaux, responsable du service Forêt Alimentation et Bioéconomie à l’Ademe, et Miriam Buitrago, ingénieur Forêts et climat à l’Ademe. Entretien.
Quel rôle joue la forêt dans l’atténuation du changement climatique ?
En absorbant du dioxyde de carbone (CO2), grâce à la photosynthèse, les forêts jouent trois rôles essentiels dans l’atténuation climatique : d’abord un rôle de réservoir du fait du stockage de carbone dans la végétation et les sols des forêts, ainsi que dans les produits bois ; ensuite un rôle de puits car l’augmentation des stocks de carbone dans ces réservoirs permet de retirer du CO2 de l’atmosphère (Inversement une réduction des stocks génère des émissions de CO2 : c’est une source de carbone) ; enfin un rôle de réduction des émissions d’origine fossile grâce à l’utilisation du bois en substitution d’autres matériaux (acier, ciment, pvc, aluminium…) ou énergies (charbon, pétrole, gaz…), davantage consommateurs ou émetteurs de ressources fossiles.
Par sa capacité à maintenir et augmenter les stocks de carbone en dehors de l’atmosphère dans les forêts et produits bois (rôles 1 et 2), et à réduire les émissions de GES d’origine fossile (rôle 3), le secteur forestier est stratégique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Ces mécanismes doivent être évalués conjointement car ils sont interconnectés : par exemple, une action de réduction des émissions d’origine fossile par substitution peut avoir un effet sur la fonction de puits ou de réservoir de carbone des forets.
Dans quelle mesure le bois-énergie peut-il contribuer à mettre fin aux énergies fossiles ?
En intégrant le bois énergie résidentiel, collectif et industriel, la filière est aujourd’hui la première énergie renouvelable en France, avec près de 36 % de la production primaire totale d’énergie renouvelable. En 2019, elle représentait environ 67 % de la chaleur renouvelable.
Le bois énergie est une ressource renouvelable et diverse, incluant du bois en fin de vie, des connexes ou sous-produits de l’industrie de transformation du bois, et du bois de qualité secondaire issu de coupes en forêt ou d’arbres hors forêt (espaces verts et haies). Dans le cadre de la transition énergétique, la filière bois énergie est amenée à se développer davantage en substitution à des sources d’énergies fossiles.
La programmation pluriannuelle de l’énergie fait d’ailleurs peser sur le bois d’ambitieux objectifs puisqu’elle prévoit une hausse de la consommation de chaleur produite à partir de la biomasse de 20 % d’ici à 2023 et de 30 à 40 % d’ici à 2028, par rapport à 2017.
Encore faut-il s’assurer de l’efficacité énergétique des installations, de leur adéquation aux besoins et de la solidité de leur plan d’approvisionnement. C’est ce que fait l’ADEME depuis 2009, dans le cadre du Fonds Chaleur, pour les chaufferies collectives et industrielles.
Afin de donner un coup d’accélérateur supplémentaire à la filière, le plan France Relance vient d’y ajouter, pour la première fois, une aide au fonctionnement.
Cette aide vise à compenser tout ou partie de l’écart de coût entre la chaleur produite à partir de biomasse, et celle provenant de solutions fossiles alternatives.
Le développement du recours au bois pour produire de la chaleur ou éco-construire est-il compatible avec la préservation de la forêt et de ses atouts climatiques ?
La forêt nous rend une multitude de services. Du point de vue de l’atténuation du changement climatique, elle stocke durablement du carbone du fait de l’expansion de la surface et de la maturation des forêts. Les produits bois à longue durée de vie, comme le bois de construction, font la même chose, tout en se substituant à des matériaux plus énergivores. Il faut donc trouver l’équilibre entre production de bois pour produire de l’énergie et séquestration du carbone. Les directions régionales de l’ADEME y veillent en étudiant les sources d’approvisionnement des candidats au Fonds Chaleur.
Par ailleurs, les différents usages du bois se complètent puisque par exemple la production de bois d’œuvre peut nécessiter des phases d’éclaircies des peuplements permettant la production de bois énergie.
Enfin, ce questionnement ne concerne pas toutes les sources d’approvisionnement de la filière bois énergie (connexes et sous-produits de l’industrie du bois, produits en fin de vie, entretien des espaces vert.
En réalité, une gestion efficace de la forêt ne peut être que durable et multifonctionnelle. Et pour préserver son potentiel sur le moyen et long terme, une attention particulière doit être accordée à la préservation de la biodiversité et des habitats, à la qualité des sols et de l’eau…
Ainsi les différents rôles (réservoir et puits de carbone, substitution des ressources fossiles) doivent être évalués conjointement car ils sont interconnectés. Pour optimiser l’atténuation, nous devons rechercher la complémentarité des mécanismes.
Pour cela, la récolte du bois doit toujours s’inscrire dans un cadre de gestion durable des forêts assurant le renouvellement des peuplements, la préservation de l’ensemble des services écosystémiques rendus par les forêts et la résilience des forêts face aux impacts du changement climatique.
De façon générale, le principe à respecter est la priorisation de l’usage du bois dans des matériaux à long durée de vie, en favorisant la production de bois d’œuvre en forêt et en s’assurant que l’usage du bois pour l’énergie se fasse sur la base de la complémentarité avec les usages matériaux.
Les pratiques sylvicoles de récolte du bois énergie doivent s’inscrire dans le respect de bonnes pratiques : L’Ademe vient de publier le guide « Récolte durable de bois pour la production de plaquettes forestières ».
La forêt est aussi victime du changement climatique. Sur quels leviers miser pour accroître la résilience des forêts ?
La capacité d’atténuation de la forêt repose sur son état de santé et sur la préservation de ses différentes fonctions écologiques. Les massifs seront soumis aux effets du changement climatique, c’est pourquoi favoriser leur résilience et leur adaptation sera nécessaire pour mener à bien l’action d’atténuation : à l’inverse, seul un changement climatique atténué permettra d’assurer la réussite des stratégies d’adaptation.
Les acteurs de la forêt et du bois ont réalisé une feuille de route pour l’adaptation des forêts au changement climatique (https://agriculture.gouv.fr/telecharger/123421?token=4beb18b0c9c5ea4e439b9eded3e4ef1c580be84ff171a6cb981f35ef6a01fa7f) pour assembler les connaissances et définir les grandes orientations.
La diversification des modes de gestion et des essences diminue les risques dans l’espace et dans le temps. La gestion forestière représente une des solutions pour maitriser une partie des risques, grâce au contrôle de la densité et de l’âge des peuplements, ainsi qu’à l’adaptation des essences aux conditions climatiques qui évoluent dans le temps.
Néanmoins, laisser certaines surfaces en libre évolution (sans intervention) contribue à diversifier les modes de gestion et à favoriser les mécanismes naturels d’adaptation des forêts. Toutefois, selon les territoires, l’adaptation active pourra tout de même être nécessaire, du fait d’un dépérissement et d’une mortalité importante ou de l’absence de régénération naturelle.
La préservation de la qualité des sols et de la biodiversité favorise le bon fonctionnement des écosystèmes et donc leur résilience face aux impacts du changement climatique.
Elle repose sur certains points de vigilance : éviter le labour du sol en plein ; prendre des mesures contre le tassement des sols et la protection des zones humides ; conserver une part de petits et gros bois morts sur pied et au sol, ainsi que des arbres creux ; créer des trames de vieux bois ou ilots de vieillissement.
La résilience repose également sur la diversité des essences et des structures à différentes échelles géographiques ou à l’échelle du peuplement : il s’agit de favoriser la diversité des essences et de sylvicultures à l’échelle des massifs (forêts « mosaïques »), de protéger et de favoriser la diversité génétique interspécifique, de favoriser également des peuplements mélangés, ou encore des structures superposant plusieurs strates de végétation à l’échelle de la parcelle (arbres de différentes âges et tailles) par la mise en place d’une sylviculture dite « a couvert continu ».
COMMENTAIRES
Deux questions (pas piège) à l’ADEME :
1- que penser des 1000 hectares de forêt de pins à Saucats en Gironde, qui vont être rasés pour installer des panneaux solaires (chinois et fabriqués avec une électricité carbonée !)
2- à force de verser des aides (pour les énergies renouvelables, pour l’hydrogène, pour le bois…), le gouvernement (c’est à dire les contribuables) s’appauvri(ssen)t de manière globale; ne serait-il pas plus judicieux de taxer spécifiquement le carbone fossile plutôt que de subventionner le bois ?