Singapour veut prendre le leadership des villes intelligentes
Singapour, la cité-état insulaire de 53 ans qui assure la présidence tournante de l’ASEAN en 2018, a lancé le réseau des villes intelligentes de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique (connue sous l’acronyme anglais ASEAN) en mai 2018 et a accueilli le sommet mondial des villes du 8 au 12 juillet 2018.
Dans le contexte de la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat, la croissance démographique couplée à l’exode rural mettent un accent fort sur l’évolution des grandes villes du sud-est asiatique, notamment pour les problématiques d’énergie et de climat.
Louis Boisgibault revient d’un déplacement à Singapour, en Malaisie et en Indonésie, 3 des 10 pays de l’ASEAN, pour décrypter les nouvelles dynamiques des villes pour préparer les universités d’été « smart buildings for smart cities », un événement organisé à Lyon les 5 et 6 septembre 2018.
Singapour propose une thématique autour de la résilience et de l’innovation
La thématique « résilience et innovation » proposée par la présidence Singapourienne à l’ASEAN peut être déclinée au niveau des villes.
Singapour avait rappelé sa spécificité géographique à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, dans sa Contribution Prévue Déterminée au niveau National.
Ce territoire plat de 719 km², doté d’une population de 5,9 millions d’habitants, a un climat équatorial ensoleillé, une petite rivière, peu de vent régulier et de ressources souterraines.
La densité exceptionnelle de population crée un défi particulièrement difficile à relever pour les approvisionnements, la sécurité et la limitation des émissions de gaz à effet de serre.
La résilience concerne la capacité de Singapour à faire face aux dangers climatiques tels les inondations, montées des eaux, crues, tsunamis, pluies torrentielles, vagues de chaleur, tremblements de terre et divers typhons.
Mais aussi, elle s’applique aux risques liés à la qualité de l’eau potable, de la nourriture qui est importée à 90%, à la fiabilité des bâtiments et des transports, à la santé publique.
L’innovation doit toucher tous les secteurs mais particulièrement celui de l’énergie et du climat. L’énergie nucléaire, éolienne, hydraulique et géothermique sont jugées inadaptées à ce territoire. Le photovoltaïque est possible mais limité par la place disponible sur les immeubles et sur le sol de l’île principale et des 62 îlots formant le pays.
Les énergies marines pourraient être envisagées mais les détroits de Singapour et de Malacca sont des autoroutes à navires de gros tonnages qui gêneraient les installations et l’exploitation de tels équipements.
Singapour a élaboré un paquet action climat avec des solutions qui proviennent du gaz naturel, qui produit 90% de l’électricité locale, de la bonne gestion des déchets, de l’efficacité énergétique et de l’introduction d’une taxe carbone.
Il faut en effet alimenter en énergie la population, les bâtiments, les transports, les services financiers et les industries, en particulier l’activité portuaire qui est l’une des plus importantes au monde. La nouvelle taxe carbone sera prélevée auprès des entreprises à fortes émissions de CO² à partir de 2019.
Singapour a lancé l’offensive durant l’été 2018
Singapour a profité du sommet mondial des villes, au mois de juillet 2018, pour réunir pour la première fois les représentants de 26 villes du nouveau réseau des villes intelligentes de l’ASEAN.
Les maires et responsables ont partagé des expériences liées à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre et ont réfléchi à un projet cadre qui sera soumis pour accord au 33e Sommet de l’ASEAN de novembre 2018.
Les villes participantes sont en train de renforcer leur plan d’actions et d’accélérer les coopérations régionales pour fixer et mettre en œuvre des objectifs réalistes pour leur développement durable.
Singapour bénéficie d’une croissance remarquable avec une politique environnementale pilotée par la National Environmental Agency qui a connu des succès spectaculaires dans l’hygiène publique, la propreté et la mobilité.
Elle partage donc son expérience dans ces domaines. A titre d’exemple, pour limiter la pollution, le parc automobile est limité à 600 000 véhicules par un système de licence qu’il faut acheter pour avoir le droit ensuite d’acquérir un véhicule et de circuler, tel le numerus clausus des taxis parisiens.
Un expatrié nous a confirmé que la voiture à Singapour avait un coût exorbitant pour une utilisation limitée à l’île et donc n’était pas nécessaire.
Les transports en commun sont très efficaces (métro, bus, taxis). Singapour a maintenant son premier service de covoiturage électrique en libre-service, BlueSG très similaire à l’Autolib parisien.
Nous avons pu voir une des 100+ stations à Mosque Street, dans Chinatown, avec les nouveaux véhicules. L’adjudicataire qui a gagné l‘appel d’offres est l’entreprise française Bolloré !
La question est maintenant de savoir si la finalité de Singapour est d’être intelligente ou d’être « responsive », c’est-à-dire de bien réagir aux aspirations des citoyens.
La remise en question d’une ville purement intelligente, technologique, qui ne serait plus au service des habitants et par conséquent qui ferait peur par son inhumanité, se fait entendre dans les forums. Les deux concepts ne sont pas en opposition.
Les notions de durabilité et de financement par de l’argent public obligent la ville à s’interroger sur la pertinence de l’utilisation des meilleures technologies et à rendre compte aux citoyens électeurs.
Singapour est un petit laboratoire cosmopolite expérimental rutilant, bien doté en ressources humaines, financières, technologiques et académiques, qui veut montrer l’exemple non seulement aux 9 pays voisins de l’ASEAN mais aussi au reste du monde.
Son leadership et ses expériences sont riches d’instructions. Ce territoire privilégié, entouré par plus de 250 millions d’indonésiens-malaisiens musulmans à faible pouvoir d’achat, est devenu l’un des plus riches du monde.
Sa géographie, sa culture, ses ressources et ses contraintes sont très différentes des autres nations de l’ASEAN et du monde pour que ses réalisations soit facilement transposables mais Singapour veut symboliser la ville moderne de demain.