La taxe carbone aux frontières franchit l’étape du Parlement Européen
Une tribune signée Matthieu Toret, avocat spécialisé en fiscalité énergétique et environnementale, associé fondateur du cabinet Enerlex.
Alors que la crise énergétique bat son plein et que l’inflation galope, le principe de la taxe carbone aux frontières et la suppression progressive de l’allocation gratuite des quotas carbone ont été adoptés, le 22 juin 2022, par les députés européens. L’objectif affiché est de favoriser la compétitivité des industriels européens tout en accélérant la transition écologique.
L’Europe doit devenir neutre en carbone en 2050
Fin 2019, très rapidement après sa prise de fonctions, la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le grand projet de son mandat : faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone à l’horizon 2050, avec un premier point d’étape en 2030.
Pour atteindre cet objectif extrêmement ambitieux, la Commission européenne a dévoilé, quelques mois plus tard, sa feuille de route composée d’une quinzaine de réformes structurantes qui impacteront l’ensemble des secteurs d’activités (industriel, tertiaire et agricole) et l’ensemble des opérateurs (entreprises, particuliers, associations ou collectivités locales).
L’outil de la fiscalité écologique sera utilisé pour construire cette Europe neutre en carbone. Il prendra la forme d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (‘taxe carbone aux frontières’), et de la refonte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (‘marché carbone’ ou ‘marché des droits à polluer’).
Les marchandises étrangères devront être taxées lors de leur importation en Europe
Sur le papier, la taxe carbone aux frontières a tout pour séduire. Il s’agit de soumettre à un prélèvement obligatoire l’importation de certaines marchandises étrangères sur le territoire européen. Le tarif de cet ajustement carbone serait proportionné à l’emprunte carbone du produit, c’est-à-dire les externalités négatives. Les avantages sont multiples : seules les marchandises étrangères seront taxées ; la compétitivité des entreprises localisées en Europe sera renforcée ; des recettes budgétaires seront générées (entre 5 et 14 milliards par an, selon la valeur tutélaire du carbone) ; les fournisseurs-tiers seront encouragés à verdir leurs procédés industriels. Seules quelques catégories de marchandises seraient concernées (produits de la minéralogie, de l’aluminium, produits pétroliers, du plastique, de la chimie et de l’électricité).
En pratique, les difficultés sont immenses. D’abord, les redevables réels seront les importateurs européens qui répercuteront ce surcout dans le prix de vente de leurs marchandises. Puis, les pays dont les marchandises seront taxées seront très fortement tentés de mettre en place un dispositif miroir de taxation des produits européens. Par ailleurs, la taxe carbone aux frontières devra être compatible avec les règles de l’OMC qui interdissent la création de nouvelles barrières tarifaires et interdissent de taxer plus fortement des marchandises étrangères que des marchandises domestiques.
Pour cette dernière raison, la Commission européenne prévoit de supprimer l’allocation gratuite des quotas carbone aux industriels européens.
Les industriels européens devront également acheter des quotas d’émission de carbone
Les industriels européens sont soumis au système de quotas de gaz à effet de serre visant à les encourager à réduire leurs émissions polluantes. Les secteurs d’activités concernés sont l’industrie métallurgique, minéralogique, la fabrication de papier et de carton, l’aviation et plus généralement les très grosses installations de combustion.
Environ 11 000 installations y sont soumises. Chacune d’entre-elle est, périodiquement, attributaire d’un volume de quotas d’émission de gaz à effet de serre (les droits à polluer). A la fin de la période deux situations peuvent se présenter : l’installation a consommé plus de quotas et doit acheter les quotas manquants sur les marchés ; l’installations a consommé moins de quotas et elle peut alors vendre le surplus ou les conserver pour les périodes suivantes. Cela étant, les quotas sont, pour le moment, encore majoritairement attribués gratuitement.
Le projet de réforme consiste à supprimer progressivement l’allocation gratuite des quotas. Ceux-ci seront, à l’avenir, mis en vente aux enchères dans des proportions annuellement croissantes. Cette réforme induira également un surcout pour les industriels européens.
Les prochaines étapes auront lieu sous la présidence de la République Tchèque, dans le cadre de ce que l’on appelle des trilogues, qui sont des réunions tripartites entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission. Les débats promettent d’être vifs, tant les vents contraires sont forts sur ces sujets hautement sensibles. Bref rien n’est fait et tout évoluera probablement encore…
COMMENTAIRES
C’est une mesure plus que nécessaire et qui a tardé à être prise !!!
En interne à l’Europe de telles mesures plus drastiques auraient du être prises depuis longtemps. Le marché des Quotas-Carbone a été un désastre pendant une décennie !
A la réflexion d’APO notre répétiteur mathématique
Vaclav Smil veut corriger deux écoles de pensée qu’il juge dangereuses. La première est celle des militants et des écologistes catastrophistes, des ONG et autres organisations qui ont fait de la fin du monde un fonds de commerce et des organisations internationales gonflées de leur importance. Les uns et les autres fixent des objectifs de décarbonisation toujours plus ambitieux et toujours plus irréalistes sans avoir la moindre appréciation sérieuse de la dépendance mondiale aux énergies fossiles. Les objectifs arbitraires à long terme à atteindre au cours des années qui se terminent par 5 ou 0 sont sa bête noire.
«Les armées d’experts instantanés»
Aucune « source d’énergie », qu’elle soit nucléaire ou ENRv+interconnexions+stockage+flexibilités+extension réseaux n’est susceptible d’être moins chère que ne l’ont été les combustibles fossiles durant des décennies, et même un mix optimal de ces deux moyens, d’où un effort de sobriété nécessaire. Conserver le même modèle de société, avec la même organisation, revient à foncer droit dans le mur en klaxonnant.
Michel Dubus, APO, Marc, vous me donnez envie de lire Vaclav Smil et le rapport meadows s’il est dispo en french version.
Sujet intéressant et vital, et moment de grâce appréciable, non pollué par des commentaires inutiles
@Michel Dubus,
Vous me donnez envie de lire Vaclav Smil.
Sans être naif, je suis intimement persuadé que l’Europe ne sera pas neutre en Carbone en 2050… ni que les moteurs thermiques seront réellement abolis en 2035 en Europe pour les voitures neuves…
Par contre, @Michel Dubus, je vous conseille la lecture du Rapport Meadows (si ce n’est pas fait) sans tenir compte de commentaires faits dessus par des personnes qui n’ont en général pas lu l’ouvrage… Le seul problème de cet ouvrage est la non ségrégation par état et/ou continent mais une vue globale de la biosphère, des ressources et de la population humaine. C’est certainement trop lisse et théorique mais beaucoup plus proches des réalités physiques de notre monde que bien d’autres modèles de prospectives…
Qu’entendez-vous par « répétiteur mathématique » !? cela m’intrigue !
@ Choppin et APO
OK, la lecture du rapport Meadows est fort intéressante notamment sur la sobriété à venir ds un monde fini, on retrouve cette approche avec « beaucoup d’étoffe » sur les réserves en matières premières, sur l’énergie nécessaires et sur les impacts environnementaux ds une vidéo de la conférence de O Vidal (https://www.youtube.com/watch?v=TxT7HD4rzP4- ) que je vs recommande
Ce que prédit O Vidal me paraît raisonnable et surtout à prendre en compte dans la réflexion sur le mix électrique en particulier.
Le répétiteur mathématique sur un bateau de la navale était celui qui répétait au micro les ordres de l’amiral (par exemple) ! .
@Michel Dubus,
Oui, Olivier Vidal fait des analyses basées sur des véritables données fort intéressantes (j’avais vu une de ces conférences il y a 4-5 ans, celle-ci plus à jour est dans la même lignée… le problème des ressources va nous rattraper tot ou tard). L’avenir des ENRi à large échelle risque de s’assombrir assez rapidement (Avis personnel). Et pour les pays éloignés de l’équateur et avec peu ou moyennement de l’hydraulique, le Nucléaire en Base est réellement une solution de long terme. Pour les pays proches des Tropiques ou avec des étés très chauds et des hivers doux, cela peut être très différents avec des techniques de Stockage du froid de climatisation en installant du PV (Quand il y a assez de Place pour cela !). Les besoins en froid sont aussi parfois très énergivore en été et le Pv peut dans ce cas avoir du sens.
Un point intéressant est le Clivage stratégique aux USA entre tendance au maintien du Nucléaire dans les états du Nord et tendance à la fermeture dans certains états du Sud, mais dans ce cas le Gaz de Schiste et les Lobbys pétro-gaziers sont aussi très responsable de la situation…