Union européenne : « la décarbonation et la souveraineté impliquent un très gros effort d’investissement »
Dans cet entretien au Monde de l’Énergie, Brice Lalonde, président d’Equilibre des énergies, ancien ministre de l’environnement et ancien ambassadeur des négociations internationales sur le climat, présente les conclusions du livre blanc Fit for 55… et après ?, publié par Équilibre des énergies, et qui comporte plusieurs propositions sur la politique énergétique, climatique et industrielle de l’Union européenne, dans le cadre des débats sur les élections européennes du 9 juin 2024.
Le Monde de l’Énergie —Pouvez-vous nous préciser les conclusions générales de votre livre blanc Fit for 55… et après ? et les grandes orientations qu’il présente ?
Brice Lalonde —Nous disons que la prochaine Commission européenne devra consacrer ses efforts à la mise en œuvre pratique du Fit for 55 plutôt qu’à des discussions sur de nouveaux objectifs. Et pour cela proposer une politique industrielle commune, avec des moyens de financement, comme l’IRA aux Etats-Unis a su le faire. La décarbonation et la souveraineté impliquent un très gros effort d’investissement, d’autant plus que l’Europe est confrontée à une forte concurrence des Etats-Unis et de la Chine. Ce n’est pas le moment de se laisser leurrer par la décroissance.
La Commission devra faire preuve de neutralité technologique et cesser de choisir les moyens de la décarbonation qu’elle préfère en pénalisant les autres, ce qui fut encore assez largement le cas avec l’énergie nucléaire. La politique de l’énergie européenne devra se fixer comme objectif de lutter contre le changement climatique, en soutenant toutes les techniques bas-carbone.
L’électrification de l’économie est un axe majeur qu’il faut mettre en œuvre beaucoup plus fermement qu’aujourd’hui. Ce faisant, les responsables de la future Commission européenne et du Parlement européen ne devront pas oublier que l’adaptation au changement climatique et l’acceptabilité sociale des mesures du Fit for 55 sont désormais des questions essentielles.
Le Monde de l’Énergie —Quels sont vos propositions en matière de transport dans l’Union européenne ?
Brice Lalonde —Nos propositions sont évidemment tournées vers la décarbonation des transports qui représentent le quart des émissions de l’Union, et dont les deux-tiers proviennent des véhicules légers. La décision d’interdire la vente de véhicules thermiques neufs en Europe à partir de 2035 est sans doute la mesure la plus spectaculaire de la session qui s’achève. Nous voulons que la Commission et les Etats membres veillent en conséquence à réunir les conditions de la poursuite du développement des véhicules électriques. Un tel objectif suppose la mise sur le marché de véhicules à des prix abordables et disposant d’une autonomie satisfaisante, une industrie de production et de recyclage des batteries et le déploiement de bornes de recharge accessibles à tous, notamment dans les bâtiments collectifs à usage résidentiel et le long des autoroutes. Ces bornes devront être intelligentes et pilotables, de façon à contribuer à développer les moyens de flexibilité dont les réseaux électriques ont besoin.
Les transports lourds posent des problèmes assez similaires. La perspective de décarbonation à 90 % des véhicules neuf en 2040 impose de proposer des pistes. Les solutions électriques pourront s’appliquer aux transports locaux et régionaux et même aux transports sur longues distances si les systèmes de route électrique s’avèrent efficaces. Il faut les étudier. Pour les transports lourds, ainsi que pour les engins non routiers, le biogaz reste une solution éprouvée, c’est une solution de transition à considérer. Il est possible également que l’hydrogène se développe, s’il bénéficie d’installations de recharge adaptées le long des grands axes, mais son coût risque de demeurer élevé.
Nous estimons que la décarbonation du transport aérien est l’objectif à viser, bien plus que les restrictions de vol que certains préconisent. L’aviation est une réussite industrielle en Europe et elle joue un rôle important pour relier les 27 Etats membres. L’industrie aéronautique a déjà fait connaître sa feuille de route qui inclut des avions plus économes, des parcours plus étudiés, des aéroports recourant davantage à l’électricité ou à l’hydrogène. Nous insistons particulièrement sur la question des carburants décarbonés, les SAF (Sustainable Air Fuels) et nous appelons la Commission à définir une stratégie d’approvisionnement assurant à l’Europe une autonomie suffisante. Les biocarburants sont une première étape, mais la ressource en biomasse est rare. L’avenir sera aux carburants de synthèse fondés sur la combinaison d’hydrogène et de carbone non fossile. Cette synthèse aura besoin d’électricité. C’est maintenant qu’il faut y songer.
Le Monde de l’Énergie —Vous militez pour un grand plan d’investissement européen pour les réseaux électriques. Pourquoi et quel serait sa teneur ?
Brice Lalonde —La gestion des réseaux électriques est bouleversée par le développement des sources renouvelables intermittentes dont les apports dépendent de la météo et qu’il faut relier au réseau alors qu’elles se trouvent généralement dans des zones peu peuplées. L’électrification des usages apporte en parallèle de nouvelles exigences. L’autoconsommation séduit de plus en plus d’Européens et l’électricité circule désormais dans les deux sens, du réseau vers le client final et de celui-ci, s’il est producteur, vers le réseau. Les progrès de la numérisation permettent de faire circuler les informations et d’ajuster en permanence l’offre et la demande en augmentant la flexibilité du réseau, par l’effacement de consommations pour minimiser les pointes ou le stockage des surplus qui apparaissent de plus en plus au moment des creux.
La Commission a publié une communication sur cette problématique des réseaux électriques. Elle doit à présent veiller à mener un programme complet de développement : anticiper les besoins, augmenter les interconnexions, veiller à la résilience des réseaux et à la cybersécurité organiser les approvisionnements en composant et matériaux stratégiques, contribuer à la formation des professionnels, faciliter les investissements, favoriser les meilleures techniques en veillant à leur interopérabilité, etc.
Le Monde de l’Énergie —Vous défendez le développement des techniques de stockage du carbone (CCS) et d’utilisation du carbone (CCU). Que peuvent-elles apporter à la politique climatique européenne ? Comprenez-vous les critiques formulées contre ces technologies encore peu matures ?
Brice Lalonde —Le premier impératif d’une politique climatique est de réduire les émissions dans tous les secteurs de la société, voire de les supprimer. Mais certaines activités sont difficiles à décarboner, il est alors indispensable de contenir les émissions de CO2 qu’elles occasionnent. Il y a urgence à agir car le changement climatique est lié à l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère où sa durée de vie est extrêmement longue. Il est donc nécessaire de développer les techniques de captage du CO2 contenu dans les émissions industrielles et, soit de le stocker de façon définitive dans l’écorce terrestre, soit de recycler le carbone qu’il contient pour fabriquer des produits industriels, notamment pour produire des carburants de synthèse.
On doit aussi songer à mettre au point les techniques de récupération du carbone, soit à partir de la biomasse consommée, soit directement dans l’air. C’est le « carbon removal » qui devrait donner lieu à l’émission de crédits carbone valorisables.
Mais toutes ces techniques ne se développeront que si l’on parvient à maintenir le prix du carbone sur le marché européen à un niveau très sensiblement supérieur à ce lui qu’il connaît aujourd’hui.
Le Monde de l’Énergie —Plus globalement, quelles forces politiques, au niveau européen, semblent porter le programme le plus proche de vos recommandations ? La montée annoncée des extrêmes-droites est-elle de nature à contrecarrer les ambitions climatiques de l’Union européenne ?
Brice Lalonde —Nous n’intervenons pas dans le débat électoral sinon pour faire connaître nos recommandations et connaître les programmes des candidats. Pour me limiter à quelques points : je n’approuve pas les remises en cause du Fit for 55. Nos industriels ont besoin de stabilité et de visibilité. Et la nécessité d’une politique industrielle commune n’appelle pas à moins d’Europe, mais à plus de coordination. Pour répondre aux critiques, l’accompagnement social de la transition est évidemment indispensable. Il faudra veiller à ce que les dispositions prévues pour les Fonds créés à cet effet soient efficaces. Enfin je regrette de ne pas voir dans les forces politiques européennes un mouvement de paix porteur de propositions de négociation.
COMMENTAIRES
Rien n’est gratuit, mais certaines depenses sont à fonds perdus alors que d’autres sont éternelles, comme le Soleil….du moins à l’échelle de l’esperance de vie de notre civilisation.
Encore un individu qui prêche pour le nucléaire et veut faire croire que c’est un moyen de faire baisser les émissions carbonées, notamment à partir de l’électricité.
En dehors de l’EPR de Flamanville, les seuls réacteurs nucléaires en construction en Europe sont les deux EPR de Hinkley Point, en retard chronique, et un réacteur de 440 MW en construction depuis janvier 1987 (Mochovce-4) en Slovénie.
Aucune mise en service d’un autre réacteur nucléaire n’est attendue avant 2033-2035 (2037 en France). Le « Fit for 55 », c’est pour 2030.
Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie, la part du nucléaire dans la production d’électricité de l’Europe entière (pas seulement EU-27) passerait de 18,9% en 2022 à 17-18% en 2030 et environ 12% en 2050, selon les hypothèses.
Pour les renouvelables, c’est un passage de 40,5% en 2022 à 65-69% en 2030 et 81-86% en 2050.
Selon une étude quasi-officielle australienne, le coût complet de production de l’électricité avec une solution à 90% d’énergie renouvelable variable (VRE) est largement moins coûteuse qu’avec du nucléaire classique (les SMR étant encore plus coûteux). Le renouvelable VRE prend en compte le coût du stockage.
@Canado
Pourriez-vous nous fournir les références de cette « quasi-officielle » étude australienne qui fait rêver quand on apprend qu’avec un renouvelable « variable » (ou intermittent, à chacun ses mots !) à 90 % le mix électrique serait largement (?) moins coûteux qu’avec un mix avec du nucléaire , et cerise sur le gâteau, y compris le coût du stockage ?
D’avance merci.
Mais les mots une importance Victor,
Intermittant, signifie que certains moment le dispositif produit et à d’autre moment il ne produit pas. Ce qui avec un facteur de charge de 25 % laisse entendre que le dispositif ne produit rien les trois quarts du temps et qu’aligner 4 de ces dispositif ne permettra donc pas de fournir pendant 100% du temps et de plus il peut fournir inutilement plus qu’il n’en faut le quart du temps où il fourni.
Variable signifie que le dispositif produit tout le temps mais entre 0% et 100% de sa capacité à produire. L’expérience démontre que selon les lieux d’implantations il y a une fourniture de puissance variables entre 75 et 90% du temps. La fourniture zéro n’étant donc qu’entre 10% et 25 % du temps. La multiplication du nombre de dispositifs présente dans ce cas un intéret certains
Mais sans doute faut-il une étincelle d’intelligence pour comprendre la différence.
C’est un peu l’équivalent du CNRS, de l’industrie et de la CRE qui a réalisé cette étude.
Pour une installation qui serait mise en service en 2030 et sur la base de données récentes, le coût de production serait de 141 à 233 $/MWh avec du nucléaire classique – de 230 à 382 $/MWh avec des SMR – de 89 à 128 $/MWh avec des renouvelables variables (VRE selon la terminologie internationale) à 90%. Les coûts du stockage et du réseau sont pris en compte.
Cependant, un hypothétique réacteur nucléaire classique ne pourrait pas entrer en service en Australie avant 2040.
En Australie, beaucoup de gens et d’entreprises sont équipés de panneaux photovoltaïques, certains aussi avec des batteries.
En 2010, l’électricité australienne était fossile à 89,6% (dont 69,3% en charbon). En 2023, les fossiles ne sont plus que 62,3% (dont 45,0% de charbon).
Entre 2010 et 2023, les renouvelables sont passés de 10,4% à 37,7% (dont 18,2% de solaire PV et 12,3% d’éolien).
@Canado
Merci pour votre réponse qui n’en est qu’à moitié une car vous ne me permettez pas d’aller étudier ce rapport car j’ai beaucoup de doute sur les coûts affichés, y compris le stockage et le réseau !
Et oui, on n’est toujours pret à croire que ce que l’on a envie de croire. Pour ma part je collectionne les études auxquelles je me refere pour pouvoir les citer à la demande.