Les usages thermiques de l’électricité en question ?

Un article signé Marc Maindrault et Serge Defaye, de la société Best-énergies

Dans les années 1970, les électriciens considéraient que la consommation d’électricité doublerait tous les 10 ans, ce qui s’est révélé totalement inexact.

La surcapacité nucléaire a été évaluée à partir du modèle Elfin par Antoine Bonduelle dans un article de la Revue de l’Energie (janvier/mars 2006)[i].

Le développement du chauffage électrique direct (par effet Joule) a été massif au cours des années 1980/2010. Unique en Europe, ce phénomène a accompagné la mise en place du parc des centrales nucléaires et contribué à masquer en partie le surdimensionnement précité.

Face au puissant lobby d’EDF, les contestations ont été à l’époque extrêmement fortes. Elles provenaient des opposants au nucléaire, mais également de certains cercles de l’administration, plutôt pro-nucléaires, comme la Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières (DGEMP), dirigée à l’époque par Jean Syrota, éminent membre du Corps des Mines.

Cette administration a publié en 1988 un rapport critique sur le chauffage électrique, qualifié de « particularité française »[ii]. Le rapport SYROTA considérait que le nucléaire devait être utilisé en base pour des besoins industriels et/ou réguliers et non pour des usages climatiques en période hivernale essentiellement. Le Ministère de l’Industrie estimait qu’une partie notable du coût du chauffage électrique (était) en fait supportée par les autres usagers d’EDF.

Une courbe d’appel de puissance électrique déséquilibrée

Sur une consommation totale annuelle d’électricité de 450 TWh, on peut estimer que les applications thermiques résidentielles et tertiaires avoisinent les 100 TWh.[iii]

Au cœur de l’hiver, il y a un surplus de consommation d’électricité d’environ 30 % par rapport à la période estivale, essentiellement du fait des consommations de chauffage dans le résidentiel et le tertiaire, et marginalement de l’éclairage.[iv]

Suite à un épisode climatique particulièrement froid (janvier 2009), l’association NEGAWATT dans un dossier très documenté[v] a dénoncé le développement inconsidéré du chauffage électrique et l’anomalie que représente la forte déformation de la courbe d’appel de puissance électrique en France : un degré de température en moins en hiver correspond à la puissance de deux tranches nucléaires de 1 300 MWé.

Le parc de centrales nucléaires, pourtant surdimensionné, n’est pas en situation d’assurer les pics d’appel de puissance au cœur de l’hiver. Pour ne pas délester, il faut faire appel à des sources conventionnelles fossiles carbonées (turbine à gaz en France) et procéder ponctuellement à des importations des pays voisins (charbon).

Curieusement, cette question importante est pratiquement absente du débat actuel sur la Transition Energétique, alors même que la RE 2020 (contrairement à la RT 2012) favorise « l’électrification » du chauffage, même si a priori on peut espérer que ce sera plutôt à partir de solutions de type PAC performante.

Mais est-on assuré que ce sera toujours le cas ? La question des surconsommations d’électricité pour le chauffage et l’eau chaude va néanmoins perdurer, ne serait-ce qu’en raison du nombre des maisons et des appartements (7 millions) équipés en « tout électrique » ou appareils indépendants, lesquels ne vont pas disparaître du jour au lendemain.

Les énergies renouvelables électriques intermittentes (éolien, solaire), qu’il faudrait dédier à des usages spécifiques (froid, numérique, éclairage…), ne sont pas en mesure de régler ce problème lié à la rigueur climatique hivernale.

RTE annonce ainsi des risques de black out et de délestage en hiver au cours des prochaines années. Pour paraphraser la caricature des années 80 « le nucléaire ou la bougie », aura-t-on demain en hiver le nucléaire et la bougie ?

Remplacer le chauffage électrique par des renouvelables thermiques

Une solution consisterait à remplacer le chauffage électrique, par exemple dans le logement collectif (HLM et copropriétés privées) et dans le tertiaire, par des énergies renouvelables thermiques, via notamment des réseaux de chaleur.

De fait, actuellement les réseaux de chaleur passent aux pieds d’immeubles « tout électrique» et ne les desservent pas en énergie calorifique, car ces derniers sont doublement captifs de leur système de chauffage :

  • Individualisation des équipements de chauffage dans chaque appartement (absence de chauffage collectif) ;
  • Emission de chaleur par convecteurs à air et non par radiateurs à eau chaude.

Seuls quelques élus motivés rénovent leurs bâtiments communaux et changent de vecteur énergétique à l’occasion de la création d’un réseau de chaleur sur leur territoire.

Afin de raccorder ces immeubles chauffés à l’électricité aux réseaux de chaleur lorsque ceux-ci passent à proximité (et donc de densifier, comme le demande justement l’ADEME), il faut que les propriétaires (bailleurs sociaux et copropriétés) fassent de gros travaux, à partir de l’échangeur posé en pied d’immeuble par le gestionnaire du réseau : création de colonnes montantes, de gaines palières, de modules thermiques d’appartement et d’une distribution/régulation secondaire (remplacement les convecteurs par des radiateurs/émetteurs eau chaude).

Le surcoût pour un appartement de 80 m² est de l’ordre de 10 000 € par rapport à une solution « tout électrique », ce qui n’est pas négligeable. Cela suppose de disposer d’une trésorerie suffisante ou de pouvoir faire un emprunt. A quoi s’ajoute pour les copropriétés privées, l’accord majoritaire des propriétaires qui peuvent avoir des équipements de chauffage/ECS d’âge ou de nature différents (gaz naturel).

Pourtant, si on fait un calcul à long terme, l’opération s’avère économiquement jouable.

Prenons l’exemple de l’appartement précité. Un propriétaire, pour les travaux de conversion du chauffage individuel en collectif et le remplacement des convecteurs par des radiateurs, aurait à assumer un amortissement /remboursement de l’ordre de 610 €/an, sur une durée de 20 ans à un taux d’intérêt de 2%.

On constate que la facture de chauffage électrique dépasse le cumul du remboursement des travaux dits secondaires et de la livraison de chaleur par le réseau, soit une économie nette pour l’usager de l’ordre de 150 €/an (mais avec au départ une avance de trésorerie importante). Si les pouvoirs publics allouaient à ces travaux une aide de 30 % (ce qui n’est pas le cas actuellement), les propriétaires obtiendraient un bénéfice de l’ordre de 330 € par logement et par an, ce qui deviendrait réellement incitatif. On soulignera au passage que le confort est nettement amélioré car la chaleur rayonnante est beaucoup plus agréable que la convection.

Un débat à mettre à l’ordre du jour, face à l’accroissement des nouveaux usages de l’électricité

Les énergies renouvelables électriques ne pourront pas faire face aux besoins actuels spécifiques et aux futurs usages (mobilité, numérique…) si la chaleur renouvelable ne vient pas couvrir, au moins en partie, des usages thermiques assurés actuellement par un vecteur électrique peu performant (de la centrale aux convecteurs).

Il faut mettre cette question à l’ordre du jour des débats sur la Transition énergétique.

Et ne pas se focaliser sur une logique de l’offre, en ignorant la nature des besoins et les moyens les plus adaptés pour les satisfaire, ce qui doit toujours être l’approche des promoteurs de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, toutes options confondues !

Encart 

L’efficacité énergétique n’est pas toujours à l’ordre du jour !

Un industriel d’une petite ville du Sud-Est s’est équipé d’une centrale de cogénération biomasse de 7,5 MW électriques (appel d’offre CRE 2) et bénéficie pour ce faire d’un tarif d’achat de l’électricité renouvelable bonifié. C’est une installation exemplaire du point de vue de la technologie, de l’exploitation, de la qualité d’approvisionnement en combustible bois.

Par contre, le bilan énergétique est médiocre : la totalité de l’électricité est livrée au réseau de distribution, mais seulement une partie de la chaleur cogénérée dessert le réseau de chaleur communal et une unité de production granulés.

La majeure partie de la chaleur, vu la taille de la ville et donc faute de débouchés thermiques suffisants, est dissipée dans des aéro-réfrigérants.

On peut estimer le rendement global (électricité + chaleur valorisée) à environ 50% et la chaleur rejetée dans l’atmosphère à environ 80 GWh par an (soit l’équivalent du chauffage/eau chaude de 8 000 logements).

Le comble dans cette affaire, c’est que le réseau de chaleur passe en centre-ville aux pieds d’immeubles HLM « tout électrique », toujours alimentés de cette façon-là, faute d’avoir été convertis en chauffage à eau chaude.

Autrement dit, la centrale produit de l’électricité à partir de biomasse sur la zone industrielle et y dissipe de la chaleur en grande quantité et en pure perte. En ville (4 km plus bas), des bâtiments sont chauffés à l’électricité (avec des électrons qui proviennent de la centrale locale !), dont le prix de revient est très élevé, puisque bonifié par un tarif favorable, grâce au Fonds de Compensation des charges d’électricité, c’est à dire à l’argent du contribuable.

 ————————–                

Bibliographie

[i] Bonduelle A. 2006 ”La surcapacité nucléaire. Quelle aurait pu être une stratégie d’équipement optimale?” La Revue de l’Energie N°569, Janvier-février.

 

[ii] Rapport Syrota, 1988, « Le chauffage électrique, une particularité Française », note Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières (DGEMP).

 

[iii] Etude Carbone 4, 2019 : « évolution de la demande électrique à moyen et long terme : quels impacts pour la gestion de la pointe électrique en 2030 et 2050 »

 

[iv] RTE – Bilan électrique 2020 – consommation d’électricité par usage

 

[v] Dossier Négawatt – 2009 – « La pointe d’électricité en France … zéro pointé ! »

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